"Gwen, the Book of Sand" "Gwen, the Book of Sand"

Ici, à Cartoon Brew, on a récemment lancé une série d’articles, The Animation That Changed Me (Le film d’animation qui a changé ma vie). L’idée est simple : on invite des sommités du monde de l’animation pour discuter des films qui les ont beaucoup marqué(e)s.

Aujourd’hui notre invité d’honneur est Sébastien Laudenbach, réalisateur d’une douzaine de films d’animation, y compris les courts métrages Vasco, Vibrato et Regarder Oana, et long métrage La jeune fille sans mains. Ce dernier film, que le réalisateur a animé seul d’une façon plus ou moins improvisée, a remporté le prix du jury au festival d’Annecy et a été nominé aux César. Laudenbach est en train de co-réaliser un nouveau long, Linda veut du poulet !, avec Chiara Malta.

Laudenbach a choisi Gwen, le livre de sable (1985), le premier long métrage de Jean-François Laguionie. Ce film de science-fiction culte a été réalisé à petite équipe à la Fabrique, le studio indépendant fondé par Laguionie. Autant que le film même, l’histoire de sa production a captivé Laudenbach.

On a décidé de publier ses commentaires en français, la langue dans laquelle il nous a parlé. Si vous désirez lire la traduction anglaise vous n’avez qu’à cliquer ici. Sans plus attendre, on laisse la parole à Laudenbach :


Photo: Vincent Josse

Je n’ai jamais été particulièrement amateur de films d’animation, je ne le suis d’ailleurs toujours pas. Mais enfant et adolescent je lisais beaucoup de bandes dessinées et à l’adolescence j’ai découvert les auteurs Métal hurlant : Moebius, Bilal, Druillet, Caza …

Une chaîne publique française avait programmé Gandahar, le film de René Laloux dont la conception graphique a été assurée par Caza. J’étais donc curieux. Dans la même soirée était diffusé Gwen, le livre de sable, dont je ne connaissais pas l’auteur.

En regardant les deux films, j’ai été finalement assez déçu par Gandahar et très intrigué par Gwen. Ils avaient tous deux une identité propre, mais si Gandahar me semblait s’inscrire dans quelque chose finalement d’assez balisé, Gwen m’avait emmené vers des contrées totalement inconnues, à tout niveau.

Un graphisme aux tons passés, bien loin de la saturation des films d’animation que je connaissais, une histoire pour le moins mystérieuse, un message fort (bien qu’à l’époque je n’étais pas certain de tout comprendre). Tout était nouveau pour moi, dans ce film.

Je crois qu’à l’époque je n’avais pas perçu sa dimension anti-consumériste, anti-capitaliste et libertaire. [Pourtant] la scène où un catalogue de vente par correspondance est lue comme l’Evangile m’a particulièrement marqué. Je me souviens m’être dit que c’était une idée extraordinaire. Elle est simple, efficace, mais formidablement mise-en-scène. Le ton (le son !), la diction du personnage qui officie, les couleurs, l’ambiance en somme, cet aspect solennel, toutes ces choses là me restent en tête alors que j’ai peu revu le film

En ce temps-là, je ne pensais pas du tout faire de l’animation, je souhaitais faire de la bande dessinée. Je devais avoir 16 ou 17 ans. Deux ans plus tard, je démarrais des études d’art, et c’est le hasard qui m’a conduit à faire de l’animation. J’ai alors renoué avec Gwen. On m’a raconté l’histoire de la Fabrique, le studio très artisanal qui avait fait le film autour de son auteur Jean-François Laguionie. Une toute petite équipe de personnes qui avaient des idéaux.

Moi qui ai passé beaucoup de vacances dans un mas ardéchois perdu dans une nature sauvage, ce petit studio au sein d’un village des Cévennes me parlait, je trouvais cela fascinant. J’ai eu l’occasion de passer à Saint-Laurent-le-Minier, notamment lorsque Laguionie faisait L’Île de Black Mór (2004). Mais je n’ai pas rencontré Jean-François à ce moment-là.

"Gwen, the Book of Sand"

Lorsqu’il m’est arrivé de revoir le film, je connaissais l’histoire de la Fabrique et cet arrière-plan a dû aussi guider ma lecture. Je ne sais pas si c’est un film qui a bien vieilli, son rythme est assez lent par rapport aux productions actuelles, je pense notamment aux scènes de chasse. Mais la dynamique du film fonctionne toujours, d’après moi. Il y a quelque chose qui monte petit à petit, quelque chose qui finit par prendre. Louise en hiver [2016, réalisé par Laguionie] possède cette même force tranquille, cette puissance douce qui je crois est très proche de ce qu’est Laguionie lui-même.

Il me semble avoir préféré Gwen la seconde fois, aussi parce que j’en mesurais les enjeux esthétiques avec davantage d’acuité, étant entre- temps devenu réalisateur. Je me rendais compte de l’audace que représente ce film à tout niveau.

J’ai rencontré Laguionie bien plus tard, lors d’une table ronde où nous étions tous deux invités. Nous nous sommes aperçus d’une certaine similitude dans nos approches et je crois que l’aventure presque solitaire de La jeune fille sans mains lui a parlé, l’a renvoyé à cette époque où il faisait Gwen. Il l’a réalisé entre ses 40 et ses 45 ans, après 8 ou 9 courts, ce qui est aussi mon cas. Pour autant, je n’ai pas pensé à Gwen lorsque j’ai fabriqué La jeune fille. C’est après coup que j’y ai pensé, me disant qu’il y avait eu une approche un peu similaire.

"Gwen, the Book of Sand"

Même si La jeune fille est bien plus artisanal et expérimental dans sa fabrication que Gwen, je crois qu’il y a dans ces deux films un esprit de liberté. Dans la thématique, bien sûr, mais également dans la façon de les faire, en s’affranchissant d’un mode de production standardisé, installé, immuable. Ces deux films racontent qu’une autre voie est possible (ce ne sont pas les seuls, bien sûr). De ce point de vue Gwen a vraiment marqué l’histoire de l’animation mondiale. Ce qui n’est pas souvent mis en avant. Gwen est à l’image de son auteur, un film important et discret.

Je suis à peu près convaincu que si Laguionie avait le même âge que moi, il aurait pu faire seul un film comme La jeune fille sans mains profitant aussi de la liberté que procure l’outil numérique, allié au dessin traditionnel. Nous vivons une époque assez bénie, de ce point de vue là. Il est beaucoup plus facile aujourd’hui de faire de l’animation peu chère. Gwen est essentiellement réalisé sur cellulo (un peu de papier découpé aussi), avec des décors peints à la main sur papier. Tout a été tourné au banc-titre 35mm.

Aujourd’hui; on peut associer la trace faite sur papier à l’ordinateur (pour la prise de vue, le compositing), cela induit une façon de faire très différente d’alors. Aujourd’hui on peut faire des films dans le métro ! C’est pour cela qu’on assiste, depuis une grosse dizaine d’années, à une éclosion d’écritures différentes tout autour du globe. C’est un nouvel âge d’or…

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